INTERVIEW: M. Cheick Oumar Ouattara , Cabinet du Ministre du Plan et du Développement de la Côte d'Ivoire

Monsieur  Cheick Oumar Ouattara a  accordé une interview à IF MAGAZINE  afin d’aborder les différentes questions liées à l’industrie de la finance islamique en Côte D’Ivoire et  de présenter les différentes actions entreprises par son ministère de tutelle pour favoriser l’essor de cette industrie dans notre pays.

IF Mag: L’Etat de Côte d’Ivoire a émis deux SUKUK (produit de la finance islamique) d’une valeur de 300 milliards de FCFA. Ce qui le positionne parmi les plus grands émetteurs en Afrique. Quelle place occupe aujourd’hui ces instruments de la finance islamique dans les objectifs de développement du pays ? Comment s’intègrent-ils dans le PND ?

Effectivement, comme vous le savez l’Etat ivoirien a émis deux sukuk pour un montant total de 300 milliards de  FCFA, en 2015 et 2016. Précisons que les sukuks sont des titres financiers équivalent à des obligations, mais qui pour être conformes à la Shariah, sont nécessairement  adossés à des actifs tangibles. Dans le cas de la Côte d’Ivoire les émissions sont adossées aux immeubles CCIA et Tours administratives A et B. Ce type d’émissions permet à l’Etat de diversifier ses sources de financement pour la mise en œuvre de projets et programmes du Plan National de Développement. Ils contribuent ainsi au développement du pays et à l’amélioration des conditions de vie des populations.

 

IF Mag: Depuis la dernière émission fort  est de constater une accalmie générale dans les différentes émissions dans le pays. Question d’attractivité, Quelles sont les ambitions en termes d’émissions?

 Ces deux émissions de sukuk sont les premières de notre histoire et courent jusqu’en 2023. L’Etat adopte donc une approche prudente. Il  faudra faire le bilan de ces deux émissions au terme de leur maturité et apprécier le besoin et les conditions de nouvelles émissions.

De plus, il faut rappeler que ces sukuks ont été émis avec l’accompagnement de la Société Islamique de Développement du Secteur Privé (ICD), une entité du Groupe de la BID, qui a connu au cours des dernières années une certaine réorganisation. Il s’agira donc d’élaborer avec la nouvelle équipe de ICD, si besoin est, les nouvelles orientations en matière de Sukuk ou d’autres instruments de financement.

 

IF Mag: La Côte d’Ivoire, membre de la Banque Islamique de Développement, a entrepris de nombreuses initiatives dans le développement des secteur privés et publics à travers les instruments de la finance islamique. Quel bilan peut-on faire de ces initiatives ? Quelles sont les perspectives pour les années à venir dans les relations avec cette grande institution ?

 Depuis son adhésion au Groupe de la BID en 2002, la Côte d’Ivoire a reçu des financements totalisant près 1 860 millions de dollars américains, soit environ 1 060 milliards de F CFA, dont 832 milliards  de FCFA au secteur public et 228 milliards FCFA au secteur privé, à travers des lignes de crédits aux banques locales. Les financements  sont majoritairement orientés vers la  santé, l’éducation, l’eau , l’assainissement, la construction de routes  et l’agriculture. Le Groupe de la BID offre généralement des conditions de financement concessionnel, qui vont du prêt ordinaire aux financements islamiques, notamment l’Itisnaa et l’Ijara.

En particulier, grâce aux efforts continus du Gouverneur de la Côte d’Ivoire, Madame le Ministre du Plan et du Développement, les investissements ont connu une forte croissance entre 2016 et 2021, où le volume du portefeuille a doublé, passant de 600 milliards de F CFA à près de 1 200 milliards de F CFA.

Actuellement, en plus de son portefeuille actif qui comprend 21 projets, la BID vient d’approuver deux autres projets totalisant 102 milliards de FCFA dans le domaine de l’éducation et dans celui de la nutrition de la petite enfance qui démarreront en 2022.

Au regard du plan de travail élaboré entre 2022 et 2024 où nous prévoyons des investissements de plus de 147 milliards de F CFA, nous pouvons affirmer que la coopération avec la BID est au beau fixe et se consolide.

Grâce aux efforts continus du Gouverneur de la Côte d’Ivoire, Madame le Ministre du Plan et du Développement, les investissements ont connu une forte croissance entre 2016 et 2021, où le volume du portefeuille a doublé, passant de 600 milliards de F CFA à près de 1 200 milliards de F CFA

 

IF Mag: Malgré l’existence d’un nouveau cadre règlementaire, la finance islamique n’est pas encore à son grand décollage en Côte d’Ivoire qui regorge de nombreuses potentialités en termes d’économie islamique. Quelles raisons pouvez-vous donner ? Comment un ministère comme le vôtre peut contribuer à positionner le pays en tant qu’un hub de cette nouvelle industrie en plein essor dans de nombreux pays Africains ?

Nous nous réjouissons que conformément aux recommandations prises lors du Forum Africain de la Finance Islamique que nous avions organisé conjointement avec ICD à Abidjan en 2016, plusieurs reformes aient été  adoptées par la BCEAO pour encadrer l’activité de la Finance Islamique dans notre espace sous régional.

Il est vrai, qu’au constat, la finance islamique dans notre pays demeure encore embryonnaire, même si, à mon avis, il y a une nette progression dans l’offre de produits islamiques sur le marché. Pour preuve, plusieurs banques locales, bénéficient actuellement de lignes de crédits aux PME accordées par les entités du Groupe de la BID que sont ITFC et ICD, pour offrir des guichets en finance islamique.

Au niveau de l’Etat, nous avons lancé un programme de microfinance participative qui consiste à fournir du micro-crédit islamique aux porteurs de projets et à renforcer les capacités de l’industrie de la finance islamique. Nous sommes également en négociation avec la BID pour développer des projets Waqf dont les revenus contribueront à soutenir les actions sociales et lutter contre la pauvreté.

Mais si la finance islamique est encore a ses balbutiements s’est aussi parce qu’il y a encore beaucoup de sensibilisation et promotion à faire sur l’offre de services actuelle. Une autre contrainte importante est l’absence d’une stratégie globale de développement de l’économie islamique qui devrait permettre de capitaliser les réformes adoptées par la BCEAO, notamment par le renforcement des capacités des acteurs de la chaine de valeur de l’industrie (banques, clients, gouvernants).

 

IF Mag: Le renforcement des capacités reste un axe majeur dans le développement de cette nouvelle industrie.  Comment le pays pourrait -il relever ce défi et participer à l’émergence d’experts dans l’industrie ?

Il convient de préciser que le Ministère du Plan et du Développement qui gère le portefeuille des bailleurs de fonds arabes, dont la BID, offre périodiquement des cours de formation sur les produits de financement islamique aux équipes intervenants sur les projets financés par ces bailleurs.

Pour une action à plus grande échelle, nous nous sommes engagés à soutenir les initiatives du secteur privé dont celles des cabinets comme le vôtre, à travers des partenariats structurants. C’est l’approche que nous privilégions et encourageons. C’est d’ailleurs, dans ce cadre que nous  avons collaboré à l’organisation de la première édition de Islamic Finance Conversations et nous serons ravi de poursuivre l’aventure.

Par ailleurs, des pays tels la Malaisie et l’Indonésie où l’industrie de la finance islamique est mieux développée pourraient être très utiles, en termes de partage d’expérience et d’assistance technique. Nous entrevoyons la possibilité de formuler des requêtes en ce sens à travers le programme « Reverse Linkage »  de la BID qui permet développer ce genre de coopération entre les Etats-membres. Nous serons ravi de poursuivre l’aventure.

Par ailleurs, des pays tels la Malaisie et l’Indonésie où l’industrie de la finance islamique est mieux développée pourraient être très utiles, en termes de partage d’expérience et d’assistance technique. Nous entrevoyons la possibilité de formuler des requêtes en ce sens à travers le programme « Reverse Linkage » de la BID qui permet développer ce genre coopération entre les Etats-membres.

 

IF Mag: Vous étiez à l’édition inaugurale des Islamic Finance Conversations lancées le 06 novembre dernier en Côte D’Ivoire à l’initiative de Dexterity Africa. Une édition qui a vu la participation de plusieurs experts de renommés de l’industrie et aussi l’appui institutionnel du ministère du plan et du Développement ainsi que d’autres ministères comme le Budget, l’économie et les finances, la promotion des investissements. Que pensez-vous de cette première édition ? Quel apport dans l’édification d’une véritable industrie de la finance islamique en Côte d’Ivoire ?

 

Cette première édition a été grand succès au regard de la forte affluence et la qualité des contenus livrés par plusieurs experts mondiaux du domaine. J’en profite pour vous adresser mes félicitations, à vous et votre équipe, pour cette belle initiative et sa bonne organisation.

Ce genre d’évènement contribue très certainement à combler le gap informationnel entre la réalité de la finance islamique qui est une industrie à part entière, génératrice de services financiers et technologiques et certaines fausses perceptions qui la confine dans un univers purement religieux ou idéologique, coupé de la modernité et du développement économique’ organisation périodique de l’évènement en mode hybride (virtuel et présentiel),  tel qu’adopté, contribuera à faire de notre pays,  un véritable hub de réflexion, d’innovation et de promotion de la finance islamique et à favoriser l’essor d’une industrie locale dans ce domaine.

IF MAGAZINE du 15 Février 2022