Takaful GCC : la croissance résiste, mais les marges s’effritent

Après une période faste, les assureurs islamiques du Conseil de coopération du Golfe (CCG) abordent 2025 sous le signe d’une croissance encore solide, mais confrontée à une compression marquée des résultats bénéficiaires. Une dynamique qui inquiète analystes et régulateurs dans cette industrie à la croisée des stratégies de croissance et des défis propres à l’environnement régional.

 

Une dynamique de croissance soutenue par des facteurs structurels

Le secteur de l’assurance islamique (Takaful) continue d’afficher une croissance robuste dans la région. Selon S&P Global Ratings, « la région du CCG devrait maintenir une croissance annuelle d'environ 10 % en 2025 et 2026, soutenue par l’expansion démographique, un renforcement des investissements infrastructurels, et des réformes réglementaires ». L’Arabie saoudite, en particulier, poursuit sa dynamique sous l'impulsion des méga-projets du plan Vision 2030, qui stimulent la demande en couverture d’assurance, dans un contexte où l’obligation d’assurance santé élargit le socle d’adhésion aux offres Takaful. En 2022 et 2023, le secteur a enregistré des taux de croissance exceptionnels, entre 24 % et 28 %.

 

Des résultats records suivis d’une inflexion brutale des marges

Cette envolée n’a pas empêché un brutal retournement des profits. Alors que le bénéfice net agrégé du secteur atteignait environ 1,1 milliard de dollars en 2024, contre 940 millions en 2023 – une progression tirée par l’Arabie Saoudite (960 M$ en 2024, 853 M$ en 2023) – la première moitié de 2025 est marquée par une chute de 35 % des résultats annuels sur un an. Cette baisse s’explique principalement par « une concurrence exacerbée dans l’assurance automobile et santé, ainsi qu’un déclin des rendements sur investissements », souligne S&P. Tandis que les primes brutes émises dans la branche automobile reculent de près de 3 %, les sinistres bondissent de 28 %, révélant la fragilité des marges (hors Émirats Arabes Unis où les taux se sont redressés à la faveur des inondations de 2024).

 

Consolidation et capitalisation : une mutation du paysage sectoriel

Face à une intensification des exigences réglementaires et des marges sous pression, la consolidation sectorielle s’accélère. « La concentration du marché est particulièrement visible parmi les petits et moyens assureurs en Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis, l’économie d’échelle devenant cruciale », analyse le rapport de S&P. Selon Fitch Ratings, de nombreux acteurs sont déjà en pourparlers avec des concurrents plus puissants pour renforcer leur structure de capital ou garantir leur survie à long terme. À titre d’exemple, en Arabie Saoudite, à l’exclusion des trois principaux groupes, les 24 autres assureurs cotés ont collectivement enregistré une perte de 83 millions de dollars, contre un bénéfice de 139 millions un an auparavant.

 

Stabilité globale du crédit, mais risques accrus pour certains acteurs

Malgré ces vents contraires, la solidité capitalistique du secteur reste un point d’appui. La capitalisation totale des actionnaires du secteur a progressé à 8,5 milliards de dollars en 2024 (7,5 milliards en 2023). « Nous anticipons une stabilité relative des ratings sur les 12 prochains mois, la plupart des assureurs bénéficiant encore de fonds propres solides », précise S&P. Mais l’agence tempère : « certains acteurs déficitaires devront faire face à des exigences accrues de solvabilité, les poussant à se regrouper ou à lever des capitaux », sous peine de fragiliser leur viabilité.

 

Perspectives et risques : une vigilance nécessaire face à l’incertitude régionale

Le secteur reste sensible aux aléas géopolitiques : une escalade des tensions au Moyen-Orient, ou une volatilité accrue des marchés financiers, pourraient peser lourdement sur les portefeuilles d’investissement et la dynamique de souscription. Selon S&P, « une aggravation du conflit Israël-Iran pourrait éroder le climat des affaires et grever les bénéfices des assureurs du CCG ».

À l’horizon 2026, la croissance devrait se poursuivre, mais les opérateurs devront innover, rationaliser leurs coûts et renforcer leur gestion des risques pour préserver la rentabilité dans un environnement de plus en plus compétitif.

La rédaction

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