L'année 2024 confirme la robustesse de l'écosystème technologique africain : malgré une conjoncture économique morose, les startups du continent ont mobilisé 3,2 milliards de dollars selon le dernier rapport "Africa Tech Venture Capital" de Partech Africa. Si ce montant marque un fléchissement de 7% par rapport à 2023, il témoigne surtout d'une remarquable capacité d'adaptation. Une analyse approfondie des données révèle des mutations significatives dans la maturité du marché, sa diversification géographique et sectorielle, ainsi que son attractivité auprès des investisseurs.
La dette : un levier de financement qui s'adapte aux contraintes
Le financement par dette connaît un ajustement mesuré, s'établissant à 1 milliard de dollars en 2024, contre 1,2 milliard l'année précédente (-17%). Cette évolution s'explique principalement par le durcissement des conditions monétaires internationales et l'appréciation du dollar, qui ont alourdi le coût du crédit pour les entreprises africaines.
Toutefois, ce mode de financement conserve son rôle stratégique dans l'écosystème. Représentant 31% des fonds levés sur le continent (contre 35% en 2023), la dette démontre sa résilience avec une progression de 4% du nombre de transactions, atteignant 77 opérations. Les entreprises les plus matures, particulièrement dans la fintech et la cleantech, continuent ainsi de bénéficier de cet instrument essentiel pour soutenir leur développement.
Capital-investissement : stabilité globale et essor des mégadeals
Le segment du capital-investissement affiche une remarquable stabilité, avec 2,2 milliards de dollars mobilisés (-2%) à travers 457 opérations (-3%). Cette performance est d'autant plus notable dans un environnement mondial marqué par le resserrement des financements.
L'émergence des mégadeals constitue un signal particulièrement encourageant. Ces opérations dépassant 100 millions de dollars ont connu une progression spectaculaire, tant en nombre (+43%) qu'en valeur (+57%), totalisant 1,1 milliard de dollars répartis sur sept transactions majeures. Cette dynamique témoigne de la confiance croissante des investisseurs envers les champions technologiques africains.
Le marché présente néanmoins des contrastes marqués selon les stades de développement. Les séries A et B enregistrent un repli des montants moyens d'investissement, passant respectivement à 5,8 millions (-18%) et 13,8 millions de dollars (-27%), reflétant une sélectivité accrue des investisseurs. En revanche, les financements d'amorçage démontrent un dynamisme prometteur, avec une hausse de 26% du ticket moyen à 1,6 million de dollars.
Une géographie des investissements en mutation
Le "Big Four" (Nigeria, Afrique du Sud, Égypte, Kenya) maintient sa prééminence tout en laissant entrevoir une diversification progressive. Le Nigeria consolide sa position de leader avec 520 millions de dollars levés en capital (+11%), porté notamment par les succès de Moniepoint (110 millions) et Moove Africa (100 millions). L'Afrique du Sud (459 millions, -16%), l'Égypte (297 millions, -31%) et le Kenya (221 millions, -34%) complètent ce quatuor qui capte désormais 67% des investissements, une concentration en recul par rapport aux années précédentes (79% en 2023).
Au-delà de ce premier cercle, de nouveaux pôles émergent. Le Ghana s'illustre avec 102 millions de dollars mobilisés (+36%), franchissant pour la quatrième fois en six ans le seuil symbolique des 100 millions. Le Maroc (82 millions) et la Tanzanie (52 millions, dopée par l'opération NALA de 40 millions) confirment cette tendance à la diversification géographique.
La fintech maintient son leadership, l'Afrique francophone monte en puissance
Le paysage sectoriel reste dominé par la fintech, qui mobilise 1,3 milliard de dollars (+59%), soit 60% des investissements en capital. La cleantech (9%), l'e-commerce (7%), les services aux entreprises (7%) et l'agritech (4%) se partagent le reste du marché.
Le financement par dette présente un profil plus équilibré, la cleantech captant 40% des montants, devant la fintech (34%) et les télécommunications (11%). Le Kenya s'impose comme le principal marché de la dette avec 382 millions de dollars, suivi par l'Égypte (142 millions), l'Afrique du Sud (132 millions) et le Ghana (118 millions).
L'Afrique francophone confirme son potentiel malgré un repli à 229 millions de dollars (-31%). Elle conserve sa première place hors "Big Four", portée par le dynamisme du Maroc et l'émulation entre le Sénégal (36 millions) et la Côte d'Ivoire (30 millions). Cette dernière accélère sa transformation depuis l'adoption de sa "Loi startup", attirant investisseurs internationaux comme Ring Capital, des startups étrangères comme le Kényan Tappi, mais aussi des champions locaux à l'image de l'assurtech Wiassur soutenue par le fonds malgache Axian.
Des défis structurels à relever
L'écosystème maintient son attractivité avec une progression de 2% du nombre d'investisseurs actifs (583). Cette résilience masque toutefois des enjeux majeurs : rareté des fonds de croissance, insuffisance des sorties, et déséquilibre persistant dans la parité, les startups fondées par des femmes ne captant que 18% des opérations et 7% des montants.
L'avenir de la tech africaine repose désormais sur sa capacité à franchir un nouveau cap. Le développement de connexions avec les investisseurs internationaux, la création d'un marché boursier panafricain dynamique et le renforcement de l'inclusion apparaissent comme des leviers essentiels pour amplifier son impact à l'échelle du continent.
Aucun commentaire. Soyez le premier à commenter.