Les progrès enregistrés ces dernières années suite aux efforts consentis par les gouvernements et l’ensemble des partenaires au développement, avec pour but ultime l’atteinte des Objectifs de Développement Durable (ODD), sont à présent fortement compromis. Pour cause, le taux mondial d’extrême pauvreté, en baisse depuis plus d’une vingtaine d’années, a enregistré une augmentation en 2020 (entre 88 et 115 millions de personnes supplémentaires ont basculé dans la pauvreté selon la Banque Mondiale) et l’on note une certaine incertitude qui frise les perspectives d’avenir et l’atteinte des objectifs mondiaux. Cette réalité est attribuable aux effets négatifs de la conjonction de trois facteurs principaux, à savoir : la pandémie de la COVID-19, les conflits armés récurrents et le changement climatique. Le constat est que ce contexte difficile vient aggraver une situation où le gap annuel de financement à l’adoption des ODD en 2015 était déjà de 2500 milliards de dollars américains. Pour pallier cette situation, de nouvelles sources de financement devraient être recherchées et mobilisées afin de pouvoir réorienter l’économie mondiale dans la bonne direction par le financement des projets ODD. Dans ce cadre, certains produits de la finance islamique (les Sukuk, la Mourabaha immobilière, …) sont déjà mobilisés à cet effet. Cependant, son potentiel reste peu exploité dans la mesure où la finance sociale islamique, dont les principes et objectifs cadrent bien avec de nombreux ODD, reste peu développée dans de nombreux pays. Or, il est évident que la finance sociale islamique à travers la Zakat pourrait être l’une des nouvelles sources alternatives à explorer. En effet, selon la Banque Mondiale (2016), le potentiel de la Zakat pourrait atteindre dans les années à venir les 1000 milliards de dollars américains. Il est donc certain qu’une telle source de financement ne peut être ignorée dans la mesure où, d’une part, elle constitue d’énormes ressources financières immédiatement disponibles et, d’autre part, la Zakat est en parfaite cohérence avec les objectifs poursuivis à travers les ODD. Dans ce contexte, des partenariats entre les institutions internationales œuvrant dans le domaine du développement et les instituions en charge des fonds Zakat sont à encourager et à renforcer pour les débloquer et les mettre au service des ODD.
Zakat est un mot arabe qu’on pourrait traduire en français par « aumône légale ». C’est le troisième pilier de l’Islam. Elle constitue de ce fait une obligation prescrite à tout musulman dont l’épargne constituée au cours d’une année atteint un certain montant, à donner une partie de celle-ci (une proportion de 2,5 %) aux démunis de sa communauté. Cette action de générosité et de solidarité est sensée assurer la purification du patrimoine du donateur. Vue sous cet angle, la Zakat a un double avantage. D’une part, elle permet de purifier les richesses du donateur et favoriser leur croissance sans compromettre leur foi religieuse. D’autre part, les ressources distribuées permettent aux bénéficiaires de disposer d’un minimum pour subvenir à leurs besoins essentiels. En somme, si la gouvernance de la Zakat est bien coordonnée, elle pourrait être très bénéfique pour la société dans son ensemble. Historiquement, la Zakat est considérée comme le premier impôt de solidarité payé par les musulmans. Les pauvres sont exclus de cette obligation puisqu’ils sont, avec les nécessiteux, les voyageurs, le personnel des institutions zakat (…), les bénéficiaires. Jadis, il n’existait aucune autorité ou institution légale chargée de sa collecte ou du contrôle de l’effectivité du don. Le principe étant de faire confiance à l’intégrité de ceux qui sont éligibles. Or de nos jours, il est courant de constater une certaine organisation au niveau de la gouvernance de la Zakat par la communauté musulmane où parfois, les Etats sont fortement impliqués.
1 Role de la zakat dans la societe
D’un point de vue historique ou contemporain, la Zakat a continuellement joué un rôle social et économique très important dans la communauté musulmane. Au plan social, l’action de la Zakat est primordiale dans le maintien de la cohésion au sein de la société à travers ses résultats concrets sur l’individu et la société toute entière. En effet, par sa politique de redistribution des richesses, les nantis étant amenés à transférer une proportion de leur patrimoine aux couches défavorisées, la zakat permet de réduire et d’apaiser les incidences de la pauvreté. Ce transfert de ressources permet aux bénéficiaires de pouvoir satisfaire les besoins essentiels légitimant ainsi leur existence. La Zakat permet ainsi d’instaurer un système de solidarité sociale et de partage au sein des communautés favorisant le maintien d’un certain équilibre social et un idéal de vie acceptable. Au plan économique, le rôle de la zakat est tout aussi crucial. Dans un premier temps, la Zakat est un excellent moyen de lutte contre la thésaurisation, qui, d’ailleurs, est proscrite selon la religion musulmane. En s’acquittant de la Zakat, d’importantes ressources financières (et non financières) sont immédiatement injectées dans l’économie par les donateurs. Cela favorise la disponibilité de la liquidité et sa circulation.
S’ACQUITER DE LA ZAKAT EST UN ACTE DE GÉNÉROSITÉ ET DE SOLIDARITÉ QUI PERMET D’ASSURER LA PURIFICATION DU PATRIMOINE DU DONATEUR ET FAVORISER SA CROISSANCE SANS COMPROMETTRE SA FOI RELIGIEUSE
Ensuite, la zakat a un effet multiplicateur et accélérateur du revenu global dans une économie, contrairement aux impôts de l’Etat, connus pour leur choc négatif sur le revenu des agents économiques, selon la théorie économique sur les équilibres macroéconomiques. Pour preuve, la zakat se transforme systématiquement, pour les bénéficiaires, en dépenses utiles au plan socio-économique. Toutefois, les avantages peuvent aussi se percevoir sur l’économie dans son ensemble par un effet d’entrainement. Enfin, la zakat peut permettre de juguler le chômage et de stimuler l’emploi selon l’utilisation que l’on fait des fonds collectés. En effet, les fonds peuvent servir directement à la consommation ou indirectement par la création de nouvelles opportunités en les investissant dans des projets sociaux profitant prioritairement aux pauvres. Dans ce dernier cas de figure, les ressources de la zakat permettraient la création d’emplois durables et réduiraient le chômage dans le rang des bénéficiaires de la Zakat.
2) contribution de la zakat a l'atteinte des ODD
L’utilisation efficiente et efficace des fonds Zakat dans un type de partenariat stratégique est susceptible de contribuer à l’atteinte des ODD.
Les ODD ont été adoptés en septembre 2015 par 193 pays au siège de l’Organisation des Nations Unies (ONU) dans le cadre du Programme de Développement Durable à l’Horizon 2030, qui définit un plan sur quinze (15) ans visant à réaliser ces objectifs. Ils font suite aux huit (8) Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) et constituent les dix-sept (17) priorités de l’humanité pour parvenir à un développement économique et social qui intègre le respect de la planète. L’adoption des ODD est intervenue dans un contexte où les effets du changement climatique, étant d’ailleurs la résultante des activités de production abusive des hommes sur la planète, sont de plus en plus perceptibles en termes de récurrence des catastrophes (inondations, sécheresses, famine, baisses de productivité, augmentation des températures etc.) Les ODD sont donc sensés prendre en compte les acquis des OMD, qui étaient destinés exclusivement qu’aux pays en développement, en intégrant les autres aspects du développement non pris en compte et ce de manière transversale. Dans ce contexte, ils constituent un appel universel à l’action pour éliminer la pauvreté et la faim, lutter contre les inégalités de tout genre en favorisant un accès à l’éducation pour tous, aux soins de santé appropriés. Les ODD encouragent également la poursuite d’une croissance économique respectueuse de la planète pour permettre aux générations futures de pouvoir disposer des ressources adéquates. La réalisation des objectifs nécessite l’instauration d’un cadre de coopération transnationale entre les Etats.
Les missions assignées à la Zakat sont en cohérence avec les cibles de nombreux ODD. De ce fait, il serait envisageable que ces fonds puissent être efficacement orientés vers leur réalisation. De prime abord, la mission de la zakat consistant à lutter contre la pauvreté en permettant aux démunis de disposer du minimum de ressources pour assurer leur survie cadre bien avec les ODD 1 : « Eliminer l’extrême pauvreté et la pauvreté » et ODD 2 : « Faim zéro ». L’ODD 1 vise à éliminer complètement, d’ici 2030, l’extrême pauvreté, à réduire de moitié la proportion d’hommes, de femmes et d’enfants qui vivent dans la pauvreté sous tous ses aspects et à renforcer la résilience des pauvres et des personnes vulnérables. Quant à l’ODD 2, il vise à éliminer la faim en faisant en sorte que les pauvres et les personnes vulnérables aient accès tout au long de l’année à une alimentation saine, nutritive et suffisante.
Ensuite, en favorisant la redistribution des richesses des donateurs vers les bénéficiaires, la Zakat peut permettre d’atteindre l’ODD 10 dont la cible principale consiste à faire augmenter rapidement et durablement le revenu de 40% des populations les plus pauvres en œuvrant à leur autonomisation. Ceci a pour objectif la réduction des inégalités au sein des pays et d’un pays à l’autre. Enfin, la collaboration entre les donateurs et les fonds zakat pour arriver à mieux organiser la collecte et la distribution des fonds aux bénéficiaires, entre dans le cadre des objectifs de l’ODD 17 qui préconise la conclusion de divers partenariats pour la réalisation des ODD. Comme on peut le constater, les missions assignées à la zakat et celles des ODD convergent. Il serait souhaitable que ses fonds soient mis à leur service. Plusieurs formes de coopération sont donc susceptibles de se mettre en place entre les institutions partenaires au développement et les fondations Zakat pour une distribution efficace des fonds pour la réalisation des ODD.
3) exemples de partenariats dans le monde entre institutions en charge de la zakat et les partenaires au developpement
La finance sociale islamique occupe une place importante dans le système économique islamique, de par la mission assignée à la Zakat (entre autres instruments). Plusieurs institutions dont la Banque Mondiale, le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et l’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés ont reconnu le rôle que la Zakat peut jouer pour atteindre les ODD. Dans ce cadre, le PNUD s’est déjà engagé à exploiter les ressources de la Zakat pour financer des projets liés aux ODD, en signant des partenariats avec des institutions en charge de la Zakat. Le HCR, quant à lui, a créé un fonds Zakat pour les réfugiés.
Partenariat PNUD-World Zakat Forum
Reconnaissant son potentiel pour le financement des projets, le PNUD a conclu un accord de partenariat avec le World Zakat Forum (WZF). Le WZF est une organisation multilatérale qui rassemble les principales agences de zakat du monde entier. Travaillant en étroite collaboration avec diverses organisations musulmanes au plan mondial telles que l’Organisation de la Coopération Islamique (OCI) et la BID, il s'engage à développer la pratique mondiale de la zakat et à contribuer à l'humanité dans le cadre de la solidarité universelle. Pour concrétiser le partenariat, le PNUD a commencé à apporter son aide à BAZNAS (Badan Amil Zakat Nasional), l’agence indonésienne chargée de la collecte de la Zakat, à utiliser les fonds de la
Zakat pour financer les plans locaux des ODD. Fort de son expérience comme partenaire au développement, de sa connaissance du terrain et de sa maîtrise des projets à fort impact social, le PNUD se charge d’identifier les projets à financer et BAZNAS procède au décaissement des fonds provenant exclusivement des ressources Zakat collectées. Le projet initial de ce partenariat a été lancé en 2017. Il consistait à financer des projets d’énergie renouvelable au profit des communautés défavorisées. Au total, plus de 803 ménages incluant près de 5000 bénéficiaires de quatre villages de la province de Jambi (située sur la côte Est de l'île de Sumatra), ont pu avoir accès à l’électricité. Cela a permis d’accroitre les capacités de création de revenu des populations bénéficiaires de la localité, améliorant substantiellement leurs conditions de vie. Dans le cadre de ce même partenariat, en 2018, une initiative du PNUD a été financée par BAZNAS pour aider les populations sinistrées des localités de Lombok et Palu suite à la double catastrophe - séisme, tsunami - qui a frappé ces deux îles. Tout récemment en 2020, un partenariat similaire a été conclu en Afrique entre le gouvernement de la Mauritanie et le PNUD. Il s’inscrivait dans le cadre de la rédaction du plan national de développement dénommé Stratégie de Croissance Accélérée et Prospérité Partagée (SCAPP 2016-2030). Le gouvernement a eu recours à l’assistance technique du PNUD pour mettre en place une infrastructure réglementaire formalisant et structurant la collecte et la distribution de la Zakat, qui était jusqu’alors non réglementée et atomisée. A terme, le gouvernement mauritanien entend profiter du potentiel de la Zakat pour financer les projets de développement.
Le fonds Zakat des réfugiés du Haut-Commissariat des Réfugiés (HCR)
Les institutions islamiques entendent s’impliquer davantage dans le financement de l’action humanitaire du HCR. Un accord de partenariat a été signé dans ce sens entre le HCR et le Fonds de Solidarité Islamique pour le Développement (FSID) qui est la filiale de la Banque Islamique de Développement (BID) chargée de la lutte contre la pauvreté. La mise à disposition de ce fonds permettra d’intensifier l’assistance du HCR aux réfugiés et déplacés internes.
Conscient de la solidité des ressources et leur immédiate disponibilité, le HCR a innové en lançant en 2019 une initiative dénommée « Refugees Zakat Fund », un fonds Zakat pour les réfugiés. Une manière pour le HCR de mobiliser les ressources zakat pour atteindre certaines de leurs missions à savoir offrir aux réfugiés, déplacés et apatrides la protection adéquate et les nécessités de base dont ils ont besoin. Pour mener à bien cette mission, le HCR a introduit une demande pour solliciter les avis juridiques (fatwas) des institutions islamiques. Plusieurs d’entre elles (l’académie internationale du Fiqh islamique basée en Arabie Saoudite, le Conseil de la fatwa de Tarim, le conseil des savants du Maroc, etc.) ont émis un avis favorable, autorisant le HCR à collecter et à distribuer la Zakat. L’utilisation de la technologie numérique est au centre de la réussite de l’initiative. En effet, le HCR a développé et mis en ligne sur son site internet une application interactive accessible partout et à tout moment, facilitant ainsi pour les donateurs le paiement secret et sécurisé de la zakat.
Une version pour mobile, dénommée « Refugees Zakat Fund App », est maintenant disponible et téléchargeable sur App Store, Google Play et Huawei App Gallery. En redistribuant 100% des ressources collectées à travers son mécanisme dans les endroits où l’aide est la plus nécessaire, le HCR se distingue comme un partenaire international digne de confiance et efficace dont l’action est conforme aux valeurs et principes de la zakat. Pour rendre transparent le processus, chaque année, non seulement le HCR publie un rapport annuel sur l’état de la philanthropie islamique mais aussi, autorise la visite d’un observateur indépendant sur le terrain pour procéder à des vérifications et le cas échéant, il émet des recommandations. Les rapports du HCR (disponibles via ce lien (https://zakat.unhcr.org/fr/rapports) reprennent dans leurs grandes lignes les informations sur le total des ressources collectées et précisent l’utilisation qui en a été faite. Selon le dernier rapport annuel sur la philanthropie islamique, publié le 25 mars 2022, le HCR a indiqué la collecte d’une cagnotte de 35,4 millions USD de fonds zakat pour les réfugiés au cours de l’année 2021. Ce fonds, constitué de 66,6 % de Zakat, 33,13% de Sadaqah (dons volontaires) et de 0,27 % de Zakat Al Fitr (zakat payée à la fin du mois de Ramadan), a permis d’assister au moins 690 familles, soit plus de 1,2 millions de bénéficiaires constitués de réfugiés et de déplacés internes.
Conscient de la solidité des ressources et leur immédiate disponibilité, le HCR a innové en lançant en 2019 une initiative dénommée « Refugees Zakat Fund », un fonds Zakat pour les réfugiés.
Les institutions islamiques entendent s’impliquer davantage dans le financement de l’action humanitaire du HCR. Un accord de partenariat a été signé dans ce sens entre le HCR et le Fonds de Solidarité Islamique pour le Développement (FSID) qui est la filiale de la Banque Islamique de Développement (BID) chargée de la lutte contre la pauvreté. La mise à disposition de ce fonds permettra d’intensifier l’assistance du HCR aux réfugiés et déplacés internes.
Selon le dernier rapport annuel sur la philanthropie islamique, publié le 25 mars 2022, le hcr a indiqué la collecte d’une cagnotte de 35,4 millions usd de fonds zakat pour les réfugiés au cours de l’année 2021. Ce fonds, constitué de 66,6 % de zakat, 33,13% de sadaqah (dons volontaires) et de 0,27 % de zakat al fitr (zakat payée à la fin du mois de ramadan), a permis d’assister au moins 690 familles soit plus de 1,2 millions de bénéficiaires constitués de réfugiés et de déplacés internes.
L'ONG Save The Children autorisé à collecter la Zakat
L’ONG Save The Children a reçu le 22 février 2022 à Londres, un certificat de la fondation Utruji de Shaykh Haytham Tamin, l’autorisant à collecter et à distribuer les fonds de la zakat dans le cadre de ses missions humanitaires en faveur des enfants à travers le monde. Cette collecte de fonds permettrait de diversifier et renforcer les actions de l’ONG sur le terrain.
4) conclusion
Des liens étroits existent entre les missions assignées à la Zakat et la réalisation des ODD. Certains partenaires au développement ont d’ores et déjà commencé à exploiter les ressources Zakat pour financer les projets sociaux à fort impact profitant majoritairement aux pauvres et aux nécessiteux. Estimées entre 200 et 1000 milliards USD par la Banque Mondiale, chaque année, c’est d’énormes ressources financières qui sont mobilisées dans le monde à travers la Zakat. Il convient donc de renforcer et de multiplier les partenariats entre les institutions Zakat et celles qui sont en charge de conduire les projets de développement dans le cadre des ODD. Bien ficelés, de tels partenariats pourraient permettre de mieux organiser et moderniser la collecte de la Zakat et son utilisation pour l’atteinte des objectifs de développement durable
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JinCrasp JinCrasp
déc. 17, 2024Поиск в гугле