Par Dr Adama Dieye
L’annonce, en juillet 2017, du Directeur-Général de la Conduct Authority (FCA) du Royaume-Uni, de la nécessité pour le marché d'abandonner le LIBOR comme référence de taux d'intérêt avant la fin de l'année a relancé la problématique de la détermination de taux de référence pour les opérations économiques et financières en économie islamique. L’annonce de la Financial Conduct Authority était assortie de proposition de remplacement du LIBOR par ce qui a été convenu d’appeler les « backwards-looking overnight Risk Free Rates » des taux sans risque au jour le jour (c'est-à-dire le Secured Overnight Financing Rate, SOFR) pour les transactions en USD et le Sterling Overnight Index Average (SONIA) pour les transactions en GBP. L’approche d’une manière générale soulève d’importantes questions d’ordre pratique et méthodologique, auxquelles il faut rajouter, pour les institutions de finance islamique, des questions de Sharia induites par le mode de détermination d'un taux sans risque. En effet, les IBOR (Interbank Offered Rates) sont des taux à terme « prospectifs », ce qui signifie que les taux sont fixés et disponibles publiquement au début de chaque période de calcul. En revanche, les RFR sont des taux à un jour et - à ce stade - le consensus du marché est qu'un taux à terme ne peut être produit que sur une base " rétrospective ", ce qui signifie qu'un RFR serait déterminé sur la base de données historiques à la fin de chaque période de calcul. Il en résulterait une incertitude sur le prix d’une transaction qui, selon les règles de la Sharia doit être déterminé au moment où une transaction réelle a lieu ou qu’une prestation de services est convenue.
Dans ce contexte, il apparaît qu’il est temps pour le système financier islamique de renoncer à l'utilisation des taux de référence conventionnels et d'établir à la place un taux de référence alternatif qui soit conforme aux principes de la Sharia.
Dans une perspective élargie du cadre macroéconomique islamique, du fait de la prohibition des revenus fixes et prédéterminés (comme les taux d’intérêt), la détermination d'un taux de rendement qui permet de rémunérer les propriétaires des actifs publics et/ou privés a créé une question centrale qui a très tôt retenu l’attention des chercheurs et praticiens de l’économie islamique. La question va au-delà de la sphère financière pour concerner les aspects de conception de la politique macroéconomique. A cet égard, Askari et al. (2014) montrent qu’une augmentation du taux de rendement des investissements entraînerait une hausse des dépenses d'investissement, ce qui se traduirait par une augmentation de la demande globale et, par conséquent, des niveaux de production souhaités. La disponibilité de cet indicateur permet d’intégrer dans les travaux techniques les considérations relatives à la croissance économique à moyen et long terme à travers la spécification et l'estimation d'une relation à long terme qui lie positivement le produit intérieur brut (PIB) au taux de rendement des investissements dans le secteur réel de l'économie (Dieye, 2020).
Dans une perspective élargie du cadre macroéconomique islamique, du fait de la prohibition des revenus fixes et prédéterminés (comme les taux d’intérêt), la détermination d'un taux de rendement qui permet de rémunérer les propriétaires des actifs publics et/ou privés a créé une question centrale qui a très tôt retenu l’attention des chercheurs et praticiens de l’économie islamique
Dans le cadre de ces travaux de pionniers, on peut notamment citer les travaux de Khan et Mirakhor (1989) qui ont établi que le taux de rendement des actifs financiers est déterminé par le taux de rendement du secteur réel de l'économie qui sert de référence pour les décisions d'investissement. Plusieurs approches, allant de simples ratios à des indices de marché plus complexes, ont été discutées largement, tant au niveau macroéconomique qu’au niveau sectoriel. Une méthode suggérée par Haque et Mirakhor (1999) serait d'estimer le taux de rendement global en se basant sur le rendement du capital selon l'indice du marché dans les marchés financiers bien développés.
Cependant pour de nombreux autres pays en développement, les marchés financiers ne sont pas assez développés et ne permettent pas l'utilisation de cette méthode. De manière pratique, ces limites ont motivé l'utilisation d'alternative (Bai Chong-En et al. 2006), pour estimer un taux de rendement du capital comme approximation du taux de rendement de l'investissement dans le secteur réel (Dieye, 2020).
Des axes de recherches ont été suggérés dans la littérature récente proposant l’utilisation d’indicateurs faisant référence au taux de croissance économique, à l’indice des prix à la production, au taux de profit bancaire voire, au taux de perception de la Zakat. Nul doute que des travaux d’analyses théoriques et de validation empirique beaucoup plus poussées seront nécessaires.
Dr Adama Dieye est économiste, Docteur en finance islamique (INCEIF), ancien membre du Conseil d’Administration de la BCEAO et membre de plusieurs comités de supervision Charaïque d’Institutions Financières Islamiques. Il est l’auteur du livre An Islamic Model for Stabilization and Growth paru en 2020 aux éditions Palgrave Macmillan (USA).
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