Le gouvernement libéral de Justin Trudeau entend bien marquer les esprits avec son budget 2024. Parmi les mesures phares dévoilées le 16 avril dernier, l'une d'elles n'est pas passée inaperçue : l'introduction d'« hypothèques halal » destinées à favoriser l'accession à la propriété des Canadiens musulmans. Une initiative sans précédent qui suscite autant d'espoirs que d'interrogations.
Répondre aux besoins spécifiques des musulmans
Concrètement, Ottawa compte explorer de nouveaux dispositifs pour élargir l'accès à des « produits de financement alternatifs, comme les hypothèques halal », peut-on lire dans le document budgétaire. L'objectif affiché est de permettre « aux Canadiens musulmans et aux autres communautés diversifiées de participer davantage au marché du logement ».
Mais qu'entend-on exactement par "hypothèque halal" ? Il s'agit en réalité de financements immobiliers conformes à la charia, la loi islamique, qui interdit le prélèvement d'intérêts, considéré comme de l'usure. Les banques islamiques proposent donc des montages alternatifs pour contourner cette interdiction, comme la location-vente (ijara), la copropriété dégressive (mousharaka) ou encore la vente à tempérament avec marge bénéficiaire (mourabaha).
Si certaines institutions financières canadiennes proposent déjà ce type de produits, aucune des cinq grandes banques du pays ne s'y est encore convertie. C'est ce que le gouvernement Trudeau entend changer, en engageant dès mars 2023 des consultations avec le secteur et les communautés concernées « pour comprendre comment les politiques fédérales peuvent mieux répondre aux besoins de tous les Canadiens cherchant à devenir propriétaires ».
Un écosystème dynamique au service de la finance islamique
L'enjeu est de taille. Selon les dernières estimations, la population musulmane représenterait plus de 6% des 39 millions d'habitants que compte le Canada, soit environ 2,4 millions de personnes. Un chiffre en constante augmentation qui pourrait atteindre les 7,2 millions d'ici 2036 selon Statistique Canada, alimenté par une immigration soutenue en provenance de pays à majorité musulmane comme le Pakistan, l'Iran ou l'Algérie.
Le Canada offre un terreau fertile pour l'épanouissement de la finance islamique, grâce à la convergence entre cette volonté politique affirmée et un écosystème d'institutions financières innovantes et engagées. L'annonce par le gouvernement Trudeau, dans son budget 2024, de l'introduction d'« hypothèques halal » visant à favoriser l'accession à la propriété des Canadiens musulmans, vient ainsi conforter les efforts déjà déployés par une constellation d'acteurs de premier plan.
Parmi eux, Manzil se distingue comme un pionnier, avec une gamme étoffée de solutions d'investissement et de financement halal, allant des hypothèques Musharaka et Murabaha aux opportunités d'investissement en partenariat avec OneVest. Aya Financial Inc. se positionne également comme un spécialiste des hypothèques conformes à la charia, tandis que la Canadian Halal Financial Corporation se démarque comme la première et unique société de financement certifiée halal en Alberta, avec ses options de financement Murabaha et Musharakah dégressive.
D'autres institutions, comme la Qurtuba Housing Coop et Al-Ittihad Investments Inc., se concentrent sur l'offre de véhicules d'investissement permettant aux investisseurs musulmans de placer leurs fonds dans la communauté et d'obtenir des revenus halal. EQRAZ et IjaraCDC complètent ce panorama, avec des solutions de financement immobilier halal basées respectivement sur les principes de Murabaha et d'Ijara (location-vente).
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Trudeau taxé de "wokisme" ?
Mais l'initiative de Justin Trudeau ne fait pas l'unanimité. La proposition du gouvernement a déclenché un débat sur les réseaux sociaux. Nombreux sont ceux qui s'interrogent sur le concept même de ces produits et sur leurs implications fiscales. Les détracteurs de cette mesure affirment qu'elle pourrait avantager certains groupes spécifiques, soulevant ainsi des questions d'équité et de justice en matière de politique financière. Certains vont même jusqu'à accuser le Premier ministre de vouloir s'attirer les faveurs de l'électorat en vue des élections parlementaires canadiennes prévues pour 2025.
Des critiques balayées par le gouvernement, qui assure que ces hypothèques alternatives ne seront pas forcément exemptes de frais. Elles pourraient inclure des « frais réguliers » en lieu et place des intérêts. Ottawa étudie par ailleurs des changements dans « le traitement fiscal de ces produits » et la création d'un « bac à sable réglementaire pour les fournisseurs de services financiers ».
Un budget sous le signe du logement
Au-delà de cette mesure, c'est un budget résolument axé sur le logement qu'a présenté la vice-première ministre et ministre des Finances Chrystia Freeland. Avec un déficit projeté de 39,8 milliards de dollars canadiens pour l'exercice 2024-2025 et 53 milliards de dépenses nouvelles sur cinq ans, dont une large part dédiée aux jeunes Canadiens, de la Génération Z aux Millennials, à travers des programmes d'aide aux locataires et aux primo-accédants.
Ces dépenses seront en partie compensées par ce que le gouvernement appelle des « mesures d'équité fiscale », censées rapporter 18,2 milliards de dollars supplémentaires sur cinq ans. Justin Trudeau joue gros avec ce budget, lui qui avait fait de l'accession à la propriété l'une de ses promesses phares. Reste à voir si ses "hypothèques halal" suffiront à convaincre.
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Une pénurie de logements qui perdure
Le Canada reste confronté à une sévère pénurie de logements, aggravée par un boom de l'immigration. Comme l'a reconnu Justin Trudeau, la hausse des travailleurs étrangers temporaires et des étudiants internationaux a dépassé les capacités d'absorption du pays, une situation qu'il faut « maîtriser ». Rien qu'en 2022, le Canada a accueilli 2,26 millions de travailleurs étrangers temporaires, dont la majorité en provenance d'Inde, tandis que 3,2 millions d'Indiens résidaient sur son sol avec un visa étudiant.
Un afflux qui a pris de court le secteur de la construction. Résultat : le Canada devrait manquer 3,5 millions d'unités résidentielles d'ici 2030. Un défi pour Justin Trudeau, qui vient par ailleurs de prolonger de 2 ans l'interdiction faite aux investisseurs étrangers d'acheter des logements au Canada, afin de « s'assurer que les maisons servent à loger des Canadiens, et non de produits financiers spéculatifs ».
La rédaction
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