Les Sukuk, ces titres financiers conformes à la Charia, ont une fois de plus démontré leur résilience et leur dynamisme en 2023. Selon le dernier rapport annuel de l'IIFM (International Islamic Financial Market), les émissions mondiales de Sukuk ont atteint un nouveau record de 212 milliards de dollars en 2023, en progression de 16% par rapport aux 182,7 milliards de dollars enregistrés en 2022. Une performance d'autant plus remarquable qu'elle intervient dans un contexte économique mondial complexe, marqué par les incertitudes géopolitiques et les pressions inflationnistes.
Cette croissance est portée par une demande soutenue des investisseurs en quête de placements éthiques et responsables, mais aussi par l'appétit croissant des émetteurs souverains et corporate pour ce mode de financement alternatif. ‘’La demande de Sukuk des pays du CCG, en particulier de Bahreïn, d'Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, d'Oman, du Qatar et du Koweït, ainsi que d'autres pays islamiques, notamment la Malaisie, l'Indonésie, la Turquie, le Pakistan, Brunei Darussalam et le Bangladesh, a fourni l'élan nécessaire à la croissance des émissions, en particulier des émissions nationales de Sukuk’’, souligne le rapport de l'IIFM.
Un marché tiré par les émissions souveraines
En 2023, les émissions souveraines ont représenté 57% du total mondial, avec 136,3 milliards de dollars levés, contre 111,8 milliards en 2022, soit une hausse de 21,9%. Les Sukuk d'entreprise ont également progressé de 7,5%, passant de 30,7 à 33,1 milliards de dollars. Les institutions financières ont, quant à elles, levé 18,7 milliards de dollars via les Sukuk, un montant stable par rapport à 2022.
Sur le plan géographique, l'Asie et le Moyen-Orient restent les deux principales régions émettrices, totalisant respectivement 51,71% et 33,96% des volumes. La Malaisie conserve son leadership avec 36,21% de part de marché, suivie de l'Arabie saoudite (22,28%) et de l'Indonésie (10,29%). Mais la dynamique est aussi portée par l'arrivée de nouveaux acteurs. Ainsi, l'Égypte et les Philippines ont réalisé leurs premières émissions souveraines en 2023, tandis que les Émirats Arabes Unis ont doublé leurs volumes pour atteindre 10,57 milliards de dollars et ravir la 4ème place mondiale.
L'innovation-produit au cœur de la croissance
Au-delà de la hausse des volumes, c'est l'accélération des innovations-produits qui retient l'attention. Notamment l'essor des Sukuk durables (Green & Sustainable Sukuk) dont les émissions ont bondi de 42% en 2023 pour atteindre 13,4 milliards de dollars. "Les Sukuk durables ont maintenu leur forte dynamique de croissance, marquant la septième année consécutive d'émissions annuelles record depuis la création du marché en 2017", relève le rapport. Une tendance portée par l'engouement des investisseurs pour la finance verte mais aussi par les engagements climatiques pris par de nombreux pays en amont de la COP28.
L'innovation se reflète aussi dans la diversification des structures utilisées. Si les modèles Ijara (38%) et Wakala (30%) dominent toujours le marché international, les montages hybrides combinant plusieurs contrats islamiques (Murabaha, Mudaraba...) gagnent du terrain, représentant plus d'un quart des émissions. "L'année 2023 a vu l'introduction de structures relativement équilibrées, ce qui est souhaitable et encourageant pour le marché des Sukuk où les inquiétudes concernant la dépendance à l'égard d'une structure ont été traitées", note le rapport.
Autre innovation marquante : l'utilisation croissante de l'or comme sous-jacent des Sukuk, à l'image des émissions réalisées par le Trésor turc. Une tendance qui pourrait faire des émules, plusieurs pays étudiant cette option pour diversifier leurs émissions et attirer de nouvelles liquidités.
Toujours plus loin, toujours plus fort
Cette effervescence se traduit par l'allongement de la duration moyenne des Sukuk, avec des maturités pouvant aller jusqu'à 30 ans, voire un demi-siècle pour certaines émissions domestiques en Malaisie. Signe de la confiance des investisseurs dans cet instrument.
De même, les Sukuk s'exportent de plus en plus au-delà de leurs frontières naturelles. En témoigne le succès des émissions libellées en dollars qui ont atteint 52,7 milliards en 2023, en hausse de 47% sur un an. Ou encore l'intérêt grandissant des entreprises occidentales, à l'instar de l'américain Air Lease Corporation qui a levé 600 millions de dollars via des Sukuk en mars dernier, une première pour un corporate nord-américain.
Cette success story ne doit pas masquer les défis qui restent à relever pour permettre au marché des Sukuk de changer d'échelle, au premier rang desquels l'harmonisation des pratiques et des cadres réglementaires pour fluidifier les échanges transfrontaliers. "Pour changer d'échelle, il faudra harmoniser les normes, fluidifier les échanges et attirer de nouveaux acteurs. Un défi de taille mais à la portée de l'ingéniosité des acteurs de l'écosystème", insiste l'IIFM.
L'autre priorité est de renforcer la liquidité et la profondeur du marché secondaire. Un enjeu crucial pour attirer davantage d'investisseurs institutionnels et soutenir une tarification efficiente. Plusieurs initiatives sont à l'étude, comme la création de plateformes de négociation dédiées ou le développement de produits dérivés adossés aux Sukuk.
Enfin, le rapport appelle à poursuivre les efforts de standardisation, notamment en généralisant l'utilisation des contrats type publiés par l'IIFM et l'AAOIFI (Accounting and Auditing Organization for Islamic Financial Institutions). Un chantier essentiel pour sécuriser les transactions et renforcer la confiance du marché.
IFMAG
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