Une vague de recapitalisation bancaire déferle sur l'Afrique

Les régulateurs bancaires en Afrique resserrent les vis. D'abord la zone UEMOA, puis le géant nigérian, et maintenant le Kenya : une vague d'augmentations des exigences de fonds propres minimum balaie le continent. Objectif affiché : muscler des banques pour affronter les défis à venir et soutenir la croissance. Mais derrière cette tendance de fond se profile aussi un possible « big bang » du secteur bancaire africain.

Les décisions sont tombées en cascade : le 21 décembre 2023, le Conseil des ministres de l'UEMOA a doublé le capital minimum des banques, de 10 à 20 milliards de FCFA (30 millions d'euros). Fin mars 2024, la banque centrale du Nigeria a suivi, relevant jusqu'à 500 milliards de nairas (370 millions de dollars) la barre pour ses champions nationaux. Dernier exemple en date, le Kenya où le gouverneur de la banque centrale Kamau Thugge a annoncé le 4 avril des réformes à venir : «Je crois fermement que les exigences en capital pour les banques doivent être augmentées».

Derrière ce tour de vis généralisé, l'anticipation d'une forte croissance de l'activité bancaire dans les années à venir. «Le FMI prévoit une croissance du PIB régional de 6,4% en 2023 et de 7,3% en 2024 dans la zone UEMOA» soulignait recemment Guy Abgre, expert en gestion des risques basé à Abidjan, dans un media africain. «Cette intensification nécessite des institutions financières robustes pour gérer efficacement l'augmentation des flux».

Même son de cloche au Nigeria, où le régulateur veut armer ses banques pour atteindre l'objectif d'une économie à 1000 milliards de dollars en 2030. «Les banques nigérianes disposeront-elles d'un capital suffisant pour répondre aux besoins d'une économie de 1000 milliards de dollars d'ici peu ?» interrogeait récemment la banque centrale. «À mon avis, la réponse est "non", à moins que nous n'agissions».

Mais le régulateur cherche aussi, en renforçant les bilans bancaires, à prémunir le secteur contre de futures crises. «Même si seulement une fraction des banques sont en difficulté aujourd'hui, renforcer le secteur est un moyen de se protéger contre les chocs à venir» analyse Guy Abgre. «Cela éviterait qu'une crise systémique n'affecte un secteur potentiellement fragile».

Le spectre de défaillances bancaires menaçant la stabilité financière n'est pas qu'un scénario lointain. Le gouverneur de la banque centrale kényane l'a rappelé : «Nous avons constaté une augmentation des risques, du changement climatique à la cybersécurité. Nous avons donc besoin de banques très solides, qui peuvent opérer au Kenya et dans la région».

Cette solidité renforcée aura un prix, prévient l'expert ivoirien Guy Abgre : «Pour les petites banques, leur faiblesse en termes de fonds propres et de marges soulève des questions sur leur capacité à générer des rendements attractifs sur le capital additionnel».

Dès lors, un mouvement de consolidation massif est «fort probable dans les 2 à 3 ans» selon lui. «Avec près d'une centaine d'établissements pour seulement 45 millions de comptes dans la zone UEMOA, la densité bancaire est deux à trois fois plus élevée que dans des pays comme le Nigeria ou le Kenya».

Petites banques locales fusionnant pour mutualiser leurs efforts, absorption de ces dernières par des groupes panafricains en quête de parts de marché, ou encore entrée au capital de l'État dans certaines banques domestiques... Les possibles mouvements de tectonique bancaire ne manquent pas.

Avec une épée de Damoclès pour les retardataires qui ne pourraient suivre la cadence des exigences réglementaires : la mise en résolution ordonnée, voire la liquidation. Un risque qui « semble limité» à ce stade, rassure Guy Abgre, «affectant seulement quelques petites institutions locales déjà en situation délicate».

Au-delà des remous pour le secteur, c'est la physionomie de la banque de détail en Afrique que ce big bang réglementaire pourrait redessiner. Professionnalisation accrue, bilan renforcé et consolidation : les banques africaines sont incitées à changer de dimension pour relever les défis du continent.

Un momentum qui pourrait profiter aux acteurs les plus solides, mais aussi redistribuer les cartes entre banques étrangères, régionales et locales. Quelle place pour les champions nationaux, les groupes panafricains et les filiales des géants mondiaux dans ce paysage en devenir ? L'avenir le dira. Une certitude : la vague de recapitalisation qui déferle sonne le début d'une nouvelle ère pour la banque africaine.

La rédaction

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